Culture des plantes médicinales de la pharmacopée traditionnelle chinoise
La Pépinière des Carlines est un lieu de production et d’expérimentation principalement dévolu à la recherche de plantes utiles dans les aspects de l’autonomie alimentaire et des usages traditionnels. Dans cette collection, les plantes médicinales utilisées en herboristerie traditionnelle chinoise prennent une place importante.
Nous rassemblerons ici les questions fréquemment posées…
Peut-on cultiver l’ensemble des plantes de la pharmacopée traditionnelle chinoise en France ?
L’adaptation au conditions géo-climatiques et au terroir
La Chine couvre une grande aire géo-climatique (latitude et altitude) et offre une biodiversité endémique extrêmement riche. La France dispose de nombreuses influences climatiques, d’une grande déclinaison de contextes géologiques et d’un gradient altimétrique d’où découle une grande variété de terroirs, mais il est difficile d’égaler complètement l’amplitude de l’aire chinoise.
Les plantes de la pharmacopée chinoise officielle n’ont pas de terroir déterminé, mais dans l’usage, la réputation de certains terroirs est traditionnellement préférée.
Herbes Daodi
Le terme “Daodi” est apparu dans les livres chinois à partir du 14ème siècle. Il désigne une région avec des conditions naturelles et un environnement écologique spécifique (qualité du sol, altitude, régime climatique, etc.), ainsi qu’une tradition de méthodes culturales, de modes de récolte et de préparation particulières (séchage, fumage, transformation, stockage, etc.). Les herbes cultivées et préparées sont ainsi réputées de meilleures qualité ou présentant un ensemble de caractéristiques leur conférant une efficacité clinique stable reconnue depuis longue date.
Parmi les 500 herbes communément en usage dans la pharmacopée chinoise, 200 d’entre elles présentent des caractéristiques “Daodi” définies, et représentent 80% du volume consommé.
Les caractéristiques Daodi reflètent ainsi la combinaison en un point donné de facteurs naturels (pas toujours favorables, le stress provoquant une réaction plus forte de certains composés organoleptiques) et de facteurs humains (savoir-faire, ingéniosité technique, méthodes commerciales, mythes et légendes, etc.). Les étapes particulière de la conservation des semences, du semis, du repiquage, de l’élevage, de la récolte, de la transformation, du paquetage, de la commercialisation et de l’usage final sont autant d’étapes culturelles au cours desquelles les plantes ont été sélectionnées, adaptées et multipliées. Il en résulte une population génétique sélectionnée adaptée à l’ensemble de ces facteurs.
Quelques plantes ont été depuis longtemps cultivées, au point qu’on a aujourd’hui presque perdu la trace de leur origine sauvage.
Par exemple : l’Angélique de Chine (Angelica sinensis (Oliv.) Diels., source de [当归 Dāng Guī] Radix Angelicae sinensis) était considérée jusqu’à il y a peu comme une plante cultivée éteinte dans son milieu naturel, jusqu’à ce que quelques stations soient découvertes dans des montagnes reculées en 2014.
Certaines lignées de plantes ont également été sélectionnées au fil du temps pour parvenir à une meilleure concentration de principes actifs ou de plus grands rendements. Les autres ont été traditionnellement cueillies dans leur espace naturel. L’augmentation de la demande suite au renouveau et à la standardisation de la médecine chinoise dans les années 1990 a mis ces populations naturelles en situation de surexploitation au risque de les voir dangereusement régresser. Un certain nombre d’entre elles sont aujourd’hui protégées au niveau international (CITES).
Afin de pouvoir assurer une production cultivée de qualité, il a été nécessaire de lancer de nombreux programmes de recherche pour observer et recenser les conditions Daodi préférentielles pour chacune de ces plantes. Ce travail a fait l’objet d’une synthèse bibliographique en 2016.
L’administration chinoise a investit beaucoup de temps et de financement dans la définition et la promulgation d’une définition standard du terme “Daodi” :
“Les herbes médicinales Daodi sont produites dans une région spécifique et ont été utilisée sur le long-terme en médecine chinoise. Elles sont plus réputées que d’autres herbes médicinales produites dans d’autres régions, leur qualité et leur efficacité sont supérieures et stables.”
En pratique, il est nécessaire pour les producteurs des régions Daodi d’utiliser des semences provenant de cette même région et de respecter les modes de culture et de transformation traditionnels de cette région, sous peine de perdre l’appellation “herbe Daodi“. Une coopérative regroupe souvent ces producteurs au sein d’une organisation centralisatrice qui assure à la fois la transmission des savoirs, la répartition des semences et le contrôle de la qualité.
En conclusion
Les plantes médicinales cultivées en Chine pour les usages en Médecine Traditionnelle Chinoise répondent à des critères précis de terroir (qualité et composition du sol), de climat (fluctuations des températures et des précipitations) et de modes de culture (dates de semis et de récolte, etc.) afin que les constituants des herbes récoltées exacerbent leurs propriétés médicinales recherchées.
La définition des régions Daodi a été élaborée aux cours des siècles par la pratique et les écrits des médecins renommés, en fonction de leur compréhension des plantes et de l’observation de leurs effets thérapeutiques. La recherche scientifique moderne n’a pour l’instant pas vraiment réussi à analyser de manière bio-chimique les caractéristiques spécifiques d’une “herbe Daodi“, comparée aux mêmes herbes cultivées en dehors de ces régions.
La médecine chinoise se base sur la pratique pragmatique mais aussi sur une interprétation symbolique du cosmos, ce qui pourrait expliquer certains choix. Il est également fort à parier, comme pour toute production humaine, que la qualité et la réputation des herbes d’une région spécifique tienne principalement à la rigueur de travail de certaines populations humaines, du succès d’un ouvrage médical, d’un accord commercial ou de la validation légendaire d’une noble personne qui fut soigné par ces herbes.
Peut-on remplacer les plantes de médecine traditionnelle chinoise par des plantes occidentales ?
Équivalences et variantes locales
Il existe différentes catégories d’équivalence entre les plantes médicinales de l’herboristerie chinoise.
Variantes locales
Les noms classiques d’herbes inscrits dans les matières médicales traditionnelles chinoises traduites en Occident font parfois référence à plusieurs espèces différentes (parfois de familles botaniques assez éloignées). Pour la plupart des herbes classiques, la plante de référence est avant tout une “plante royale” qui représente une fonction thérapeutique majeure.
De plus, il existe de nombreuses variantes locales utilisées traditionnellement par les populations à l’échelle d’une région particulière, mais celles-ci sont rarement enseignées en Occident.
Adjonction d’herbes exotiques dans la matière médicale historique
Les échanges commerciaux ont permis la diffusion de plantes vivantes d’herbes préparées au delà des frontières initiales de la Chine du premier millénaire (ex. : maïs, safran, plantes ayurvédiques, etc.). Les matières médicales traditionnelles chinoises incluent ainsi des plantes originaires des pays limitrophes, dans un aller-retour permanent (Vietnam, Inde, Népal, etc.).
Il existe aussi des variantes issu de courants herboristerie basées sur la MTC, qui ont été développées dans les pays voisins à différentes époques, en incluant une partie des textes et des plantes chinoises (exemple : médecine Kampo au Japon, Médecine coréenne, Médecine vietnamienne, etc.).
Adjonction de nouvelles plantes occidentales dans la matière médicale classique
La matière médicale classique de l’herboristerie traditionnelle chinoise a été progressivement traduite en occident à partir des années 1970, d’après des textes classiques et grâce à l’effort de quelques praticiens formés à partir du début du XXème siècle, suite à l’ouverture culturelle de la Chine dans ces années là.
Dans le même temps, les scientifique chinois et internationaux se sont penchés sur l’étude pharmacologique des plantes d’herboristerie traditionnelles chinoise. Les composés des plantes et leur biodiversité (génome, populations sauvage et cultivée) sont désormais relativement bien connus.
Les écoles de Médecine Traditionnelle Chinoise ont été progressivement structurées à partir des années 1980, et cette enseignement d’herboristerie traditionnelle chinoise a été inclus dans certains cursus. Les ouvrages se sont étoffés jusqu’à proposer aujourd’hui une base de connaissance relativement complète.
Dans un mouvement similaire, la connaissance du monde entier a été traduite en chinois de manière massive, incluant les connaissance et la culture des plantes d’herboristerie occidentale.
Il est aujourd’hui relativement aisé de considérer que la plus grande partie de la connaissance mondiale a été traduite en chinois, ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres langues. A toutes les époques, la culture chinoise a réussi à intégrer progressivement les savoirs les plus utiles à son patrimoine culturel.
Les plantes médicinales occidentales (en particulier les plantes méditerranéennes ou riches en huiles essentielles) sont cultivées chine de manière industrielle depuis une vingtaines d’année. Leurs propriétés ont également été interprétées selon les notions de de la médecine traditionnelle chinoise et intégrées à la matière médicale étendue de l’herboristerie traditionnelle chinoise.
L’expérience seule permettra de connaître avec avec précision l’usage clinique de ces plantes en coordination avec les plantes de la matière médicale classique.
Existe-t-il des plantes de la pharmacopée traditionnelle chinoise qu’on trouve déjà en France ?
Un certain nombre d’espèces de plantes utilisées en pharmacopée traditionnelle chinoise sont cultivées ou poussent naturellement en France ou en Europe.
Évolution des classifications botaniques
Lorsqu’on recherche une plante médicinale issue de la matière médicale de l’herboristerie traditionnelle chinoise, il n’est pas toujours facile de savoir avec précision si les noms d’espèces inscrites dans les ouvrages compilés depuis les années 1950 à 1980 sont toujours d’actualité.
La botanique a d’abord été une science d’observation avant de devenir, depuis une ou deux décennie, un système de de classification fondé sur l’analyse génétique, ce qui a profondément réorganisé les classifications à l’échelle mondiale.
Certains espèces que l’on pensait appartenir à un même genre botanique, ou une même famille botanique, se retrouvent divisées en clades distincts. Certaines espèces autrefois décrites par différents auteurs dans différents pays sont aujourd’hui rassemblées sous une dénomination commune (ex. : Xanthium strumarium L., source de [苍耳子 Cang Ěr Zǐ] Fructus Xantii).
Ainsi, il existe de nombreuses plantes communes en Europe qui sont utilisée en herboristerie traditionnelle chinoise. Il peut s’agir de plantes sauvages ou cultivées, certaines ont déjà un usage médicinal (parfois différent), d’autres sont simplement des plantes exotiques devenues des produits ornementaux de l’industrie horticole.
Il est parfois surprenant de s’apercevoir que ces quelques fleurs de prairies sur lesquelles on marche sans s’en rendre compte (ex. : Prunella vulgaris, source de [夏枯草 Xià Kū Cǎo] Spica Prunellae ; Glechoma hederacea, source de [連钱草 Lián Qián Cǎo] Herba Glechomae) ou ces quelques plantes de massifs fleuris (ex. : Platycodon grandiflorum, source de [桔梗 Jié Gěng] Radix Platycodi; Paeonia lactiflora source de [芍药 Sháo Yào] Radix Paeoniae) sont de formidables plantes médicinales réputées de l’autre côté du globe alors que notre culture occidentale en ignore les usages.
Parmi les plantes utilisées en herboristerie traditionnelle chinoise, on trouve en Europe un grand nombre de plantes du même genre botanique, mais d’espèce différente. Celles-ci sont parfois également réputées pour leurs usages médicinaux.
Bien que leurs caractéristiques écologiques et leur aspects morphologiques, ou même leurs usages médicinaux, puissent parfois être très proches, il est nécessaire de garder à l’esprit que leur composition bio-chimique puissent être relativement différente.
Par ailleurs, on sait aujourd’hui que l’expression des aspects morphologiques et la composition bio-chimique des plantes est extrêmement liée aux conditions du milieu (climat, sol, histoire), ce qui nous ramène à l’importance des terroirs.
Pour une adaptation expérimentale dynamique
Compte tenu de tout ce qui a été écrit précédemment, il est impossible de reproduire en France métropolitaine, ou même en Europe, l’ensemble des conditions endémiques ou des terroirs spécifiques de la Chine.
Il est cependant possible de cultiver une certaine partie des plantes majeures de l’herboristerie traditionnelle chinoise adaptées aux climat tempérés, climat montagnards ou climat méditerranéen, tout en recherchant un maximum de variantes locales (chinoises ou non) permettant de combler les besoins essentiels ou particuliers.
Comment sélectionner les plantes d’herboristerie traditionnelle chinoise cultivables en Europe ?
Comment choisir quelle plante cultiver ?
Comme pour toutes les plantes, il est tout d’abord important de déterminer les aspects du sols et du climat, ainsi que l’exposition (micro-climat) :
Le sol :
- sa composition ;
- sa profondeur ;
- sa perméabilité et sa capacité de rétention en eau ;
Le climat :
- les températures minimales (zone de rusticité) ;
- les périodes et quantités de précipitation.
La situation :
- l’orientation ;
- l’ombrage ;
- la pente ;
- les éléments à proximité (mur, pièce d’eau, haie, etc.).
Le type de plante :
Bulbes :
- faciles à cultiver en pot,
- faciles à récolter
- nécessite parfois un peu de soins particuliers
On en utilise le plus souvent le bulbe.
Exemple : Bletilla striata, Pinellia ternata, Arisaema sp, Lilium lancifolium, etc.
Plantes annuelles :
- nécessite un semis réussi,
- culture par rotations rapides,
- récolte en moins d’une année.
Plantes herbacées :
Cette catégorie constitue la plus grande partie des plantes médicinales, et peut être subdivisées en sous-catégories en fonction de leur taille, préférences ou modes de croissance (plantes d’ombre, plantes sempervirentes, plantes rhizomateuse, plantes tropicales, etc.).
- Plantes d’ombre : généralement des plantes de sous-bois ou de versant montagneux orienté nord, avec une préférence pour les sols frais.
- Plantes
On en utilise le plus souvent les racines (après une longue période de croissance), ou alors les sommités fleuries, feuilles, fleurs ou fruits.
- facile à cultiver en pot,
- multiplication végétative possible,
- rotation des cultures sur 3-5 ans en moyenne.
Exemples : Belamcanda chinensis, Ligusticum shinense, Aster tataricum, Salvia miltiorrhyza, etc.
Lianes :
- croissance de 3 à 5 ans,
- récolte abondante,
- gain de place.
On en utilise le plus souvent les tiges ou les fruits, mais aussi parfois la racine.
Exemples : Fallopia multiflorum, Campsis radicans, Akebia quintata, etc.
Arbustes :
- demande plus d’espace et de temps de culture
- récolte plus abondante
On en utilise le plus souvent les fruits ou les racines.
Exemples : Eleutheroccocus senticosus, Lycium barbarum, Zanthoyllum simulans, etc.
Arbres :
On en utilise le plus souvent l’écorce (après une longue période de croissance), mais également les rameaux (jeunes branches), feuilles, fleurs ou fruits.
- demande beaucoup d’espace,
- récolte après 10 ou 20 ans,
- récolte très abondante.
Exemples : Magnolia officinalis, Eucommia ulmoides, Phellodendron amurense, etc.
Une collection pour découvrir les plantes médicinales chinoises
La pépinière développe une collection de plantes médicinales utilisées dans les formules de pharmacopée de médecine traditionnelle chinoise, en constante accroissement variétal. Ces plantes, parfois peu connues en Europe, parfois extrêmement répandues dans les jardins ou dans les pâturages, enrichissent considérablement la gamme de plantes utiles au jardin.
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